2020 aura été une année clé pour le numérique dans l’Union européenne (UE), la Commission ayant présenté des législations sur la gouvernance des données (Data Governance Act) et sur les services numériques (Digital Services Act – DSA).
2021 sera l’année clé pour l’intelligence artificielle (IA). L’UE devra instaurer un cadre dans lequel la recherche et les entreprises pourront être compétitives et à la pointe de l’innovation tout en tenant compte des questions éthiques pour une IA qui inspire confiance. La Commission spéciale sur l’Intelligence artificielle à l’ère du numérique instaurée par le Parlement européen aura en cette matière un rôle déterminant à jouer.
Jouer un rôle implique d’avoir pris sa place sur l’échiquier
Au cours des 3 dernières années, un nombre sans précédent d’applications d’IA ont vu le jour de par le monde. En parallèle d’innombrables questions d’éthique liées à l’IA ont été soulevées. Malgré cette attention accrue au débat éthique, les questions n’ont encore abouti à aucune réglementation concrète de l’IA dans l’UE. Or cette absence de cadre réglementaire est un handicap, car les développeurs savent que – bien que cette réglementation se fasse attendre – elle verra le jour et ils n’ont donc pas la certitude de pouvoir mener à bien des projets entamés, une fois ces lois en vigueur. Nous tirons ainsi sur un frein là où d’autres ne se privent pas d’aller de l’avant. Ceci est un vrai défi, car l’UE voudrait avoir son mot à dire pour établir des standards internationaux, mais à trop tergiverser, elle ne saura plus influencer. Un enjeu important est donc de tenir compte du contexte de concurrence internationale et d’accélérer le mouvement réglementaire. Il est vital également que le cadre réglementaire n’impose pas des contraintes inutiles à nos entreprises et en particulier à nos PME, qu’il limite la bureaucratie, que les règles instaurées soient aisées à mettre en œuvre et pérennes et que le level playing field soit respecté. L’UE devra enfin être en mesure de vérifier que tous ceux qui opèrent sur le marché de l’UE – États membres comme pays tiers – respectent nos normes et nos règles.
Créer le cadre pour une IA digne de confiance
La défiance à l’égard de l’IA s’est accrue dans les contextes de surveillance de masse. Le sentiment de la perte de contrôle et de l’intimité est lié à la hantise d’une IA développée
sans respect de la personne. L’enjeu est donc que les préoccupations éthiques, et plus particulièrement le respect de la personne et de la dignité humaine, soient au cœur de nos décisions en matière d’IA. Aussi voudrais-je évoquer des notions qui guident l’UE pour parvenir à une IA digne de confiance : l’humain au centre, la sécurité des systèmes, les données privées protégées, la transparence et la traçabilité, la non-discrimination, la prise en compte des générations futures, la responsabilité. L’IA ne pourra obtenir la confiance des Européens que si les applications de l’IA respectent nos valeurs. C’est à ce prix que l’IA se développera en Europe.
En conclusion
Il faut veiller à ce que l’Europe puisse aller de l’avant aussi loin et aussi rapidement que possible et être conscients que le reste du monde n’attend pas que l’Europe décide pour lui et que les autres avanceront avec ou sans l’Europe. Il est donc essentiel de ne pas être naïf, car les défis sont conséquents :
- garder nos starts-up et entreprises innovatives en Europe,
- réussir à protéger nos valeurs tout en étant à la pointe de la recherche,
- convaincre au niveau international des valeurs essentielles à respecter,
- trouver les moyens de protéger la vie privée malgré un contexte mondial qui y est peu enclin,
- être conscients que nombre de nos concitoyens sont prêts à succomber à des produits attrayants qui utilisent leurs données privées,
- prendre en compte que l’Europe est très pauvre en données personnelles que d’autres ont amassées depuis des années, que ce retard n’est plus à rattraper et que nous aurions probablement mis d’autres garde-fous si nous avions été à la pointe de ce stockage.
En somme, nous devons être très prudents sur ce que nous permettons, mais aussi sur que nous interdisons, car n’étant pas isolés du reste du monde et de ses diverses stratégies conquérantes, si nous péchons par naïveté, nous pourrions nous retrouver entièrement à la merci d’autres systèmes de valeurs, soumis à ce que justement nous voulons éviter – à la traîne et sans défense par rapport à une IA hostile et hégémonique.
Rendez-vous au printemps lorsque la Commission proposera une législation qui, je l’espère, donnera à l’Europe les outils nécessaires pour une IA digne de confiance – dans tous les sens du terme.